Où en est la recherche sur le cancer aujourd’hui ?

Thierry Philip : Nous avons fait beaucoup de progrès dans la compréhension du cancer, que ce soit du point de vue des mécanismes, de la génétique ou de l’immunologie. C’est-à-dire que nous savons désormais comment fonctionne une cellule malade du cancer. Pour résumer, quand une cellule devient malade, le fonctionnement normal voudrait qu’elle s’autodétruise. Or, avec le cancer, cette cellule oublie en quelque sorte de mourir. Nous comprenons mieux aujourd’hui ces mécanismes, ce qui nous permet de mieux combattre le cancer. Nous restons conscients que la maladie est horriblement complexe : à la manière d’un fleuve qu’on souhaiterait dominer, nous avons réussi à construire un énorme barrage mais nous ne savons pas encore comment éviter la formation de petites rivières de part et d’autre… D’où la nécessité de continuer à faire avancer la recherche sur le sujet !

Institut Curie : la vidéo

Quelles sont les grandes avancées en matière de recherche ?

Les progrès récents concernent tout d’abord la chirurgie. D’une part, lors de l’intervention : nous pouvons désormais pratiquer des interventions sous anesthésie de 12 à 13 heures sans problème, y compris chez les personnes âgées. D’autre part, après l’intervention : si la chirurgie détruit, nous pouvons reconstruire désormais un sein, une paroi abdominale, une bouche, etc.
Le traitement par rayons a également énormément progressé : nous avons réussi à augmenter son efficacité tout en limitant sa toxicité. Nous travaillons actuellement pour aboutir à des traitements très efficaces sur des durées plus courtes. Quant à la chimiothérapie, la véritable révolution consiste à pouvoir faire le portrait des anomalies pour proposer un traitement personnalisé. Et encore mieux, nous espérons que, d’ici à cinq ans, nous saurons comment modifier les défenses de l’organisme pour rejeter la tumeur : c’est l’immunothérapie.

Qu’en est-il des traitements ?

Nous sommes désormais capables de guérir 80 % des enfants, 60 % des femmes et 50 % des hommes. Quant aux personnes que l’on n’arrive pas encore à guérir, nous leur permettons de vivre plus longtemps avec la maladie. Comme la moitié des cancers se déclare à plus de 65 ans, un allongement de dix ans de l’espérance de vie est une avancée importante. 

Quels sont les grands espoirs que porte l’Institut Curie aujourd’hui ?

Nous nous réjouissons d’abord d’avoir enfin dans ce pays une vraie politique de prévention. Si, par exemple, tous les jeunes de moins de 20 ans décidaient aujourd’hui de ne jamais fumer, la mortalité due au cancer diminuerait de 50 % au cours des 50 prochaines années ! Ensuite, nous avons découvert que le sport est un vrai médicament de prévention du cancer, avec une activité physique, à allure modérée, de seulement 30 minutes à raison de trois fois par semaine.

Enfin, les techniques de dépistage connaissent d’énormes progrès. Or, plus le cancer est détecté rapidement, meilleures sont les chances de guérison. À l’Institut Curie, nous développons des techniques permettant de détecter des cellules anormales présentes dans le sang. Ces techniques devraient permettre d’orienter les dépistages et donc de les rendre beaucoup plus ciblés et donc plus efficaces. 

Quels sont aujourd’hui la place de l’Institut Curie, son rôle, ses grands projets ?

L’Institut Curie est l’ancêtre des centres anticancéreux, créés par le général de Gaulle en 1945. Dès 1909, nous permettions déjà des synergies entre la recherche, les soins et l’enseignement.
Notre enjeu aujourd’hui, c’est de préfigurer le centre de cancérologie moderne, celui du XXI e siècle. Un endroit où la recherche fondamentale, celle qui cherche à comprendre, est présente : nous comptons 1 200 chercheurs de 77 nationalités différentes. Un endroit où cette recherche permet de transférer les connaissances vers le malade pour le soigner. Mais aussi un endroit qui permet aux praticiens de revenir vers le chercheur pour lui poser certaines questions et avancer ensemble.
C’est pourquoi nous inaugurons en novembre un centre d’immunothérapie des cancers : sur 1 000 m², nous rassemblerons de la recherche fondamentale, des transferts de connaissances, des services de consultation et d’hospitalisation, etc., afin de créer des allers-retours entre ceux qui cherchent et ceux qui soignent.

La même organisation pourra être mise en place pour d’autres activités sur notre site de Paris, pour la radiothérapie sur notre site d’Orsay, en collaboration avec nos partenaires des hôpitaux Foch et Ambroise Paré sur le site de Saint-Cloud. Ce grand plan qui inclut la rénovation de nos 3 sites de Paris, de Saint-Cloud et d’Orsay et l’édification de 11 000 m² de constructions neuves à Saint-Cloud mobilisera 153 millions d’euros sur 5 ans, pour mettre en place les meilleurs outils destinés à la recherche et pour réserver le meilleur accueil aux patients. 

Sur quelles forces vous appuyez-vous ?

90 millions d’euros proviennent des versements des donateurs. Nous emprunterons près de 60 millions d’euros pour permettre à ce projet de voir le jour. Nous espérons ainsi devenir l’un des comprehensive cancer center les plus modernes du monde. Nous nous appuyons aussi sur nos universités partenaires car il n’y a pas d’innovation et de recherches sans universités, sans l’Inserm, sans le CNRS et surtout sans jeunes chercheurs. C’est ensemble que nous pourrons avancer vers un monde sans cancer.